- par Christelle Avril, sociologue, publié originellement sur Mediapart, Le Club, 30 avril 2025
Valentine est en arrêt de travail. Il y a deux jours, elle n’a pas pu se lever. En charge des VSS et du plan Égalité hommes-femmes d’une grande université, elle devait passer en CDI cette année. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale a ouvert la voie à une « réorientation politique ».
Avril 2025. Valentine1 n’a pas pu se lever. Il y a un peu plus de six mois, elle a été recrutée pour piloter l’égalité professionnelle et le traitement des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans une grande université française. En novembre, son budget a été réduit de 20 %. Elle s’est résolue aux heures supplémentaires non payées pour parvenir à boucler le plan Égalité. En février, son budget a encore été réduit de 15 %. Elle a continué à multiplier les heures non payées puisque les signalements s’étaient accumulés avant son entrée en fonction. Il y a quelques jours, le DRH – « simple messager du président » – lui a annoncé qu’à l’automne, au lieu du CDI promis, elle n’aurait qu’un CDD de quelques mois. Son emploi fera l’objet d’un « nouvel arbitrage politique ».
Valentine pensait avoir décroché le poste de ses rêves. La présidence de l’université et le directeur général des services (DGS) souhaitaient une politique ambitieuse sur l’égalité professionnelle et les VSS. Certes, on lui avait proposé un CDD d’un an seulement avec un salaire au-dessous de ses qualifications. Mais pas d’inquiétude : correspondant à une obligation légale, financé sur une ligne de budget pérenne, il déboucherait sur un CDI à l’automne 2025. Inutile de négocier un CDD de trois ans qui retarderait la Cdisation. Valentine pouvait considérer cette année comme une période de stage dans la fonction publique. De toute façon, convertir les CDD sur mission permanente en CDI, « c’est la politique de l’établissement. »

Freezing. Credit: Henna K., 2025
Six mois plus tard, la présidence de l’université a changé, le DGS est parti. Officiellement, la nouvelle équipe devait poursuivre la même politique. Mais le contexte a évolué : il faut couper dans les budgets, place à « la réorientation politique ». Le DRH, sceptique dès le début, ne cache plus ses réserves : si Valentine n’est pas contente, elle peut partir. Comme ses deux collègues qui l’épaulaient dans le montage des dossiers de signalement. Elles ont démissionné : ça aussi, Valentine vient de l’apprendre. L’une, juriste, attendait une formation jamais arrivée. Elle trouvera ailleurs. L’autre avait conçu un plan de prévention des VSS soutenu par les partenaires sociaux. La nouvelle présidence l’a enterrée. Des mois de travail jetés à la poubelle. En détachement dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), elle demande à réintégrer son administration. Si Valentine n’est pas contente, elle peut donc partir.
Payer son CDD
Le cas de Valentine illustre la précarité des missions Égalité dans les universités. Son poste n’a pas vraiment de nom : cheffe de projet Égalité ? Chargée de projet ? Coordinatrice ? Responsable ? Il se définit par la négative : elle est « personnel non enseignant » des missions Égalité de l’ESR. Occupés essentiellement par des femmes maintenues pour plus de la moitié d’entre elles en CDD, selon leur collectif. Et encore, dans les universités les plus investies. Ailleurs, ce sont des enseignant·es chercheur·es et des assistantes administratives qui prennent en charge ces missions… en sus de leur charge de travail habituelle.
Depuis la loi de 2019 sur la transformation de la fonction publique, les universités ont créé des cellules de recueil des signalements. Les témoignages affluent, mais les enquêtes internes et les procédures disciplinaires ne sont pas au rendez-vous. La Défenseure des droits l’a rappelé dans une décision-cadre récente. Depuis six mois, Valentine accomplit avec courage une mission impossible. En CDD, elle présente à la Présidence – seule instance habilitée à ouvrir des enquêtes – des dossiers qui mettent en cause des titulaires de l’administration et de l’enseignement-recherche. Ceux-là mêmes qui détiennent son avenir professionnel entre leurs mains.
Valentine doit aussi préparer le plan Égalité. Convaincre des secrétaires, des gestionnaires, etc. permanent·es de l’université d’y consacrer un temps de leur travail sans compensation salariale, ni prime. Et les convaincre de s’engager sur plusieurs années alors qu’elle ne sait pas elle-même si elle sera toujours en poste dans six mois. Ce n’est pas tellement que les outils mis en œuvre soient contraignants, comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport de janvier 2025. Mais l’heure est aux financements européens qui exigent des plans d’égalité professionnelle.
Quand on écoute ces administratives de l’Égalité, elles évoquent d’abord la détresse des personnes qu’elles reçoivent. Et celle engendrée par l’explosion du nombre de signalements qui ne trouve aucun débouché institutionnel. Sur leur drame à elles et la violence qu’elles subissent, elles restent discrètes.
Espérant mettre le coup de grâce, le DRH rétorque à Valentine qu’elle n’a qu’à passer les concours si elle tient à travailler dans le public.
— Oui, mais après, je ne sais pas où j’atterrirai.
— Il faut savoir faire des sacrifices, répond-il.
Valentine les a déjà faits. Depuis douze ans, elle a connu treize déménagements, quatre pays, six villes. À 35 ans, avec deux masters et dix ans d’expérience professionnelle dans l’ESR, elle aspirait à exercer son métier dans une université qui, il y a six mois encore, y croyait.
- Le nom a été modifié. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
L'équipe de rédaction d'Academia (5 mai 2025). Politique Égalité : les CDD de l’administration universitaire à l’heure du backlash ? Academia. Consulté le 19 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13v1o