Budget 2025: un ruissellement qui tire tout le monde vers le ruisseau

  • Dominique Dupart, maître de conférences, Littérature française, Alithila, Université de Lille

Le montant du budget 2025 alloué aux Universités de ce bon pays de France est tombé. Les conséquences ont été immédiates, répercutées directement comme un poing sur la figure sur les universités les plus pauvres, les Départements les plus pauvres, les bibliothèques les plus pauvres, et, logiquement, aussi,  sur les étudiants les plus pauvres,  les enseignants-chercheurs les plus pauvres,  déjà les plus débordés, etc.

Deux exemples, deux, dont un que je suis en train de vivre de plein fouet avec mes collègues et mes étudiants à l’Université de Lille.

  1. Le budget du Département de Lettres baisse de 8% à Lille. Ce qui signifie,  en termes d’heures, l’équivalent de la suppression de l’ensemble de nos heures d’enseignement en Première année. Une baisse sans précédent. Une saignée.  Conséquences ? Multiples ! La licence est par exemple,  désormais, légèrement en dessous du nombre d’heures requises pour l’accréditation du diplôme. Mais peut-être est-ce le cas, à Lille, parce que nous sommes en province et que cette université (dans ces Hauts-de France qui ne roulent pas sur l’or,) est notoirement connue pour ses difficultés à assumer l’autonomie financière qui a découlé de la loi LRU ? Pas du tout !
  2. Le budget de la BIS ( Bibliothèque Paris-Sorbonne) arrêté le 31 janvier accuse de son côté une baisse de 35 %, tandis que l’enveloppe allouée aux affaires courantes est absorbée jusqu’à 72 % par des dépenses incompressibles. Et ici, donc, nous ne sommes pas à la pointe extrême du Kamtchatka des Hauts de France,  mais à Paris, Bibliothèque de la Sorbonne, avec les boiseries, les fresques murales, l’odeur du bâtiment ancien, etc.,

Le ruissellement agit donc tout à fait conformément aux prescriptions néo-libérales que tout le monde connaît désormais, mais,  nous concernant,  nous, les enseignants-chercheurs et les étudiants,  il agit dans son versant le plus maléfique, lui qui tire tout le monde vers le bas, à Paris, Province, les enseignements, les bibliothèques. Un ruissellement qui tire tout le monde vers le ruisseau. Un ruissellement à l’envers, ça s’appelle.

Le 12 mars, les étudiant·es de Lille ont envoyé 1000 courriers à l’Élysée pour protester contre les coupes budgétaires 2025 ! Créidt: DD, 2025

 Pour résister, les étudiants organisent un DIE IN ce mardi 18 mars de 11H-12H, toutes et tous, et nous allons donc avec eux, nous, les enseignants-chercheurs,  faire les morts et les mortes allongées dans le couloir du Bâtiment A qui abrite aussi la Bibliothèque Michelet. Michelet, tu nous entends ? Est-ce que tu nous entends ? J’en appelle ici à Michelet parce qu’au sein d’une université, malheureusement, les arbitrages sont tels que des Départements sont plus touchés que d’autres. Ici, à Lille, les Philosophes, les Lettreux, le Département Arts sont très touchés mais les Historiens et Historiennes, avec leur gros laboratoire UMR, cela va mieux. Voilà, rien n’est égale dans les coupes, jamais, et tout le monde vogue à vue entre les récifs sur son bateau-Département.

Un long suicide budgétaire

Ce qui se passe est la suite d’un long suicide budgétaire pour l’enseignement supérieur qui a commencé depuis quelques années déjà avec pour alibi les mots clefs « AUTONOMIE » et « décentralisation ». La vérité, c’est que notre État fédéral à nous s’est désengagé depuis longtemps de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche mais comme il s’est désengagé inégalement, par soubresauts, en discontinuité,  les disparités entre les institutions bien dotées et les universités pauvres empêchaient et empêchent toujours de saisir toute la photographie d’ensemble. Un exemple : j’informe de nos baisses budgétaires un ami et collègue dont la trajectoire de recherche, plus brillante que la mienne,  fait qu’il travaille sur un campus bien plus favorisé que le mien. Lui, de son côté, tout à fait loyal, en grand soutien solidaire et amical avec nos conditions lilloises, est terrifié par le déluge qui s’abat aux USA sur les scientifiques aux USA. Moi aussi, cela me terrifie mais comment dire ? Disons que ma condition lilloise me donne concrètement des peurs bien plus proches, plus matérielles, plus physiques, que celles qui me touchent à propos des scientifiques de Columbia. La ligne de feu est plus ou moins proche, plus ou moins médiatique : pour moi, pour nous, un petit morceau de trumpisme,  existe déjà à Lille, tout simplement. Deux poids, deux mesures.  Pour certains, l’horreur est outre-Atlantique. Pour d’autres, elle est déjà française, du moins,  économiquement, ce qui est déjà énorme.

On appauvrit un secteur sans provoquer de résistance sérieuse en le réduisant depuis ses marges les plus faibles, les plus vulnérables, les moins prestigieuses,  pour ensuite remonter lentement vers le cœur, plus chic, plus médiatique, plus the place to be.  Les dernières manœuvres au CNRS avec les « key lab » qui étaient destinés à flécher l’argent vers des laboratoires désignés plutôt que d’autres est un bel exemple de cette politique qui élimine les maillons plus faibles en laissant en apparence respirer les plus forts, les dominants, eux qui surnagent dans leurs instituts de recherche bien dotés ; alors que nous, dans nos universités énormes destinés aux masses des étudiants, on se noie la bouche ouverte depuis des années. En Lettres, à Lille, c’est, année après année, devenu de plus en plus n’importe quoi. Des vacataires, pas de postes renouvelés, des diminutions progressives de budget et, cette année, la grande Hache. En réalité,  on a le sentiment en apparence que ce sont seulement les plus fragiles qui sont touchés, mais c’est juste la corde qui serre plus lentement à mesure qu’on s’approche du cœur. Mais elle serre quand même. Et je vous laisse imaginer ce que deviendront tous les budgets du Supérieur en 2027,  si les mauvaises nouvelles de la politique électorale intérieure en cours se confirment.

Stand up of science…there and here

L’actualité internationale prend toute la lumière. L’administration Trump détruit systématiquement, pan après pan, les secteurs scientifiques dissidents de la vérité trumpiste officielle. La dimension spectaculaire de cette mise à sac systématique –  dont la diminution de la subvention- budget de Columbia est l’emblème –  autorise insidieusement à ne plus regarder sur le pas de sa porte et à s’indigner p médiatiquement de ce qui se passe outre-Atlantique sans percevoir que, de l’administration Trump qui dégraisse les investissement de l’État fédéral à la diminution des budgets de l’enseignement  dans cette province oubliée de l’Amérique qu’est la France, c’est le même travail économique qui est à l’œuvre, qui fragilise le bien commun, le bien public, qui paupérise le Supérieur et la Recherche, une politique économique qui ne mise plus sur le savoir mais sur le pouvoir. Cela s’appelle un suicide collectif des Humanités  ( et peut-être bientôt scientifiques ?).

Je m’associe donc de tout cœur à ce STAND up FOR SCIENCE mondialisé mais je souhaiterais aussi spécifiquement un mouvement local Toutes et TOUS POUR les Humanités à Paris et en Province. Je souhaiterais que nos représentants enseignants-chercheurs médiatiques qui parlent si bien  pour nous,  si judicieusement,  à l’International et aux Media,  parlent aussi  pour les étudiantes et les étudiants les plus pauvres qui font la queue devant les bibliothèques pour réviser leurs examen car ils n’ont pas de lieux pour travailler chez eux, pour les étudiants qui ne bénéficieront plus du Prêt inter-bibliothèque pour écrire leurs mémoires de Master à la BIS de Paris-Sorbonne, pour ceux  qui s’entasseront dès la L1 en Amphithéâtre avec moins de cours en TD à Lille alors qu’ils bossent majoritairement tous 39 heures par semaines pour financer leurs études. Elles et eux aussi font partie de la vie de la recherche : ils ne calculent pas des neutrons, ne font pas de l’épigénétique, ne travaillent pas sur des modules révolutionnaires IA mais ils sont les citoyens et les citoyennes d’aujourd’hui et de demain. Les laisser tomber, c’est couler de manière assurée, c’est certain.

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
L'équipe de rédaction d'Academia (18 mars 2025). Budget 2025: un ruissellement qui tire tout le monde vers le ruisseau. Academia. Consulté le 14 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13id9


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