Défavorable, réservé mais surtout pas favorable – L’HCERES sort les dents

Comme beaucoup s’en font fait l’écho (ici, Julien Gossa, 9/03/25) et même dans la presse (L’Humanité, 16/02/2025, Entretien avec Stéphane Bonnéry), l’HCERES n’a pas ménagé sa peine pour la vague E, au point de se demander qui ou quoi était à la manoeuvre pour qu’autant de haine, pardon, d’avis “défavorables”, déferle sur les formations en Arts, lettres et sciences humaines du quart nord de la France. Dans une zone déjà fort paupérisée, mal dotée en services publics et où le RN fait des scores faramineux, apparemment l’accès aux études supérieures humanistes et aux formations de l’Université publique ne serait plus (?) un levier de lutte contre l’extrême droite. Il est plus important de saper encore plus le travail des universitaires (en les humiliant au passage, ça ne coûte rien) et de dégrader l’accueil des étudiant·es que de les aider à offrir de meilleures conditions d’études. Désormais, L’Humanité titre même qu’une “fraude massive” pourrait expliquer cette abondance soudaine de formations à agonir rapidement et dans la philosophie désormais connue comme celle du DOGE aux Etats-Unis, le blitz administratif à la tronçonneuse :

“Certains signes pourraient laisser penser que les avis négatifs sur de très nombreuses licences et maîtrises publiés par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ne correspondent pas aux appréciations émises par les chercheurs qui les ont réalisés.” (Hélène May, L’Humanité, 9 mars 2025)

 

Un précédent dans la vague contre les écoles d’art : le DNA (diplôme des arts) de l’EMA Chalon-sur-Saône

Ce stratagème de déstabilisation a pourtant déjà été éprouvé lors d’un cas précédent, en 2023, et qui a conduit à la sortie d’une formation diplômante de Parcoursup. L’EMA École Media Art de Chalon-sur-Saône est une école d’arts gérée par le Grand Chalon (communauté de communes) et sous tutelle du ministère de la Culture et de l’ESR pour son accréditation (AEF, 6/12/25). (Fun fact, c’est la ville d’origine de l’actuelle Ministre de la culture, Rachida Dati qui en janvier 2024 venait de prendre ses fonctions). Ces établissements, comme les établissements du supérieur telles que les universités, soumettent également leurs formations au processus d’évaluation de l’HCERES : d’abord le bilan, avec des indicateurs standardisés, puis le projet, ce qui permet dans un second temps d’envisager comment, en prenant acte des commentaires des évaluateur·ices, il est possible de corriger le tir. Le but était de maintenir la formation, en l’occurrence, un DNA, Diplôme National d’Arts, équivalent au niveau Bac+3. Sur le bassin, à Chalon-sur-Saône, il s’agissait d’un des rares établissements supérieurs publics avec l’IUT de l’Université Européenne de Bourgogne, lui aussi à Bac+3. L’école, avec sa petite réputation dans le monde de l’art et en particulier de la photographie, est un moteur important et historique de la vie culturelle locale, Chalon étant la ville de naissance de Nicéphore Niepce, un des inventeurs pionniers de la photographie et qui a son musée dans la même ville.

Crédit : Steve Henot “La grogne monte à l’Eesi Poitiers“, 14/12/22, Le 7 Info

Lors de son évaluation HCERES, l’école s’est vue notifiée d’un avis “réservé” (après avoir reçu d’abord une notification d’avis favorable, mystérieusement “erronée”), le premier degré dans la gradation du pire. Il faut se représenter que “défavorable” est vraiment rare, et plus que négatif dans l’univers feutré mais vite piquant de l’évaluation entre pairs. Un projet en bonne et due forme a été renvoyé mais il est apparu dans le même temps que, ô surprise, le DNA ne figurait plus sur la plateforme Parcoursup. Quelle était donc cette sorcellerie? Un avis réservé, et de but en blanc, plus la possibilité de s’inscrire en première année? très efficace manière d’assécher une formation et de signifier qu’il est trop tard pour s’amender. Malgré une inquiétude légitime, puisque l’école d’art de Valenciennes (59) était vouée sans autre forme de procès à la fermeture (voir Arte, La Voix du Nord) l’école continue d’exister mais pour des publics amateurs de l’agglomération, plus pour une formation supérieure diplômante postbac. L’affaire a été largement traitée dans la presse, d’abord localement via le média local puis au niveau national, “L’école d’art de Chalon-sur-Saône menacée” titrait Le Quotidien de l’art sous la plume de Magali Lesauvage (Le Quotidien de l’art, 30/11/2023) :

“Le couperet est tombé : le ministère de la Culture et celui de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, suite à un avis « réservé » du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), préconisent le retrait de l’accréditation à délivrer des diplômes nationaux d’art (DNA) de l’école de beaux-arts de Chalon-sur-Saône, dite École Média Art (EMA) du Grand Chalon” (Magali Lesauvage, Le Quotidien de l’art, 30/11/2023)

Libération s’en émeut aussi “L’école des beaux-arts de Chalon-sur-Saône menacée de fermeture” (Claire Moulène, Libération, 29/11/2023) et le cas arrive même le 26 novembre 2023 aux Questions au Gouvernement, “Avenir des écoles d’art territoriales“, portée par Sarah Legrain avec une magnifique réponse du 12 mars 2024 qui étrille littéralement l’école : dans une accumulation de reproches visant à discréditer totalement le bilan, elle omet bien sûr de mentionner les projets de restructuration qui étaient en cours et portés par la directrice adjointe, et directrice par intérim, Rym Gourine. Le fait que l’affaire se retrouve portée par une femme, juste après le départ du précédent directeur, peu compétent en matière d’école d’art puisqu’il venait du conservatoire de musique, laisse aussi entrevoir d’une part l’effet “falaise de verre” pour celles aux commandes, et d’autre part l’attaque concertée sur un établissement dirigé par une femme dont le mandat était déjà fragilisé. Malgré des mobilisations locales et nationales fortes, le ministère est resté inflexible : plus d’accréditation Bac+3 à l’EMA, avec pour conséquence le redéploiement des personnels titulaires et la non-reconduction des personnels contractuels.

Comme l’indique son site, l’EMA ne délivrera plus de DNA après 2025-26, mais a trouvé son salut en basculant sur des formations Bac+5 (JSL, 15/02/25) en partenariat avec le CNAM, et la directrice par intérim confirmée à son poste. On se dit quand même qu’il n’aurait pas été idiot de maintenir une filière de bac+3 pour entrer en bac+5 dans le même établissement. On peut s’estimer heureux que cette voie ait trouvé grâce auprès des tutelles, même s’il faut observer que le nouveau diplôme offre une nouvelle orientation liant l’art avec l’industrie, comme le titre le JSL (du 14/02/25). 

Les leçons de cette histoire

Que nous apprend cette aventure de l’EMA, qui a déjà deux ans?

  • D’abord qu’un avis défavorable est vraiment bien pire qu’un avis réservé, et que oui, il s’agit clairement d’une menace directe sur la formation et sur son accréditation par le Ministère de l’enseignement supérieur (et de l’éducation actuellement).
  • Ensuite, qu’un avis “réservé” ou “défavorable” peut être le prétexte à un retrait immédiat d’une formation sur Parcoursup, sans que les responsables de formation ne soient consultés bien sûr (ni même la direction en l’occurrence). On comprend bien l’intérêt de centraliser l’accès aux formations sur des plateformes.
  • Enfin, qu’un chantage à l’accréditation peut tout à fait s’exercer sur les établissements publics, tandis que par ailleurs, la bienveillance règne pour les établissements privés. Dans le contexte de menaces envers les filières humanistes Arts Lettres Langues et Sciences Humaines et Sociales, l’avertissement gouvernemental est limpide et le PEPR ICCARE en est le signe visible : il ne s’agit plus de faire de l’art, mais bien des productions au sein des industries culturelles, par extension, on peut extrapoler, il ne s’agit plus de faire de la philosophie, mais de la gestion, etc. La strangulation financière fait partie du chantage, comme l’ESAD Valenciennes a pu en faire les frais.

Place sinon aux écoles privées qui vont pouvoir s’implanter, ailleurs ou à Chalon-sur-Saône, dans le sillage de la future Cité de l’image, actuellement en préfiguration pour 2027 et qui vise à transformer le creuset local et l’actuel musée de la photographie Nicéphore Niepce.

Un cas que l’on peut méditer pour mieux saisir ce que ces avis défavorables nous disent potentiellement, en filigrane, de ce qui nous attend.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
L'équipe de rédaction d'Academia (12 mars 2025). Défavorable, réservé mais surtout pas favorable – L’HCERES sort les dents. Academia. Consulté le 9 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13gf1


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