Deux semaines dans l’engrenage destructeur de l’université de Cardiff

Une attaque sans précédent a lieu sur l’emploi universitaire britannique par des présidences qui sont censées être issues des rangs universitaires. Pour Cardiff, le projet de licencier, en moyenne, 10% des universitaires titulaires s’accompagne de celui d’une colonie universitaire au Kazakhstan.

Armes de Cardiff University

Au deuxième jour de la reprise de janvier 2025, [le 29 janvier 2025] en différents groupes, les universitaires ont été invité∙es à gagner le principal amphithéâtre, où iels ont découvert, lors d’une courte présentation power point, que l’université allait licencier environ 10% de ses employé∙es scientifiques — au moins 400 personnes, nous a-t-on dit. Ces suppressions sont inégalement réparties : certains secteurs étaient « à l’abri », d’autres, comme la médecine ou la biochimie ont découvert qu’iels allaient perdre 10% à 35% de leurs universitaires. Dans le secteur des « humanités », un membre du conseil d’administration a reconnu que la moitié des personnes de l’amphi était susceptibles d’être renvoyé∙es. Plusieurs collègues ont découvert, sur une diapositive, l’annonce de la fin de leur programme, et probablement de leur emploi.

Les collègues étaient en larmes — mais devaient retourner faire cours. Dans la réunion des humanités, la diapositive de la présentation sur le « soutien psychologique » a suscité un rire collectif (qui a été coupé au montage de la vidéo officielle). Un peu plus tard, un collègue a découvert que les rendez-vous accessibles sur la ligne téléphonique de soutien — en plus des sites web de soutien psychologique en autonomie (self-care) — étaient réservés jusqu’en mars.

Dix-huit jours après ces annonces, à 8h30 du matin environ, près de 2000 employé∙es ont reçu, par courriel, des avis de « risque de licenciement », moi inclus∙e. Il n’y avait aucune précision sur la manière dont celles et ceux qui étaient « à risque » avaient été choisi∙es, mais c’est de cette manière qu’a commencé la consultation obligatoire de 45 jours au sujet de nos emplois.

Au cours d’une réunion avec la Vice-Chancelière1, qui rassemblait toute l’université ce jour-là, on nous a indiqué  que nous devons participer aux « projets » et proposer des contre-projets. Alors que nous sortions de la salle, il y avait des agent∙es de sécurité dans le couloir. Il était possible que je perde mon emploi dans un mois, avant la fin de l’année universitaire, mais apparemment ce n’était qu’une hypothèse.

Que veut notre direction ? Des « étudiant∙es de meilleure qualité » (vraie citation) en nombre inférieur, avec un nombre encore plus réduit d’universitaires afin de parvenir à des ratios professeur-étudiant extraordinaire. Pour justifier les projets, la direction a envoyé une semaine plus tard un pdf qui présentait une comparaison du taux EC-étudiant en projet avec ceux des universités du Russell Group. Les taux-cibles (pour mon département — 1 enseignant∙e pour 24 étudiant∙es — dépassaient les moyennes du Russell Group de beaucoup.

En plus de délaisser les étudiant∙es, les enseignant∙es allaient se tuer à la tâche.

https://newyddion.s4c.cymru/article/26702

Concert contre la fermeture de la School of Music, Université de Cardiff. Image et vidéo par Newyddion, 22 février 2024. D’autres extraits, par Dr Chris Inglis, sont accessibles sur Bluesky.

Ces projets  sont accompagnés de la présentation d’images d’IA composites et de photos d’espaces ouverts « volées » (autre citation) à d’autres institutions, dont, désormais, le conseil d’administration fait très régulièrement usage. Pour le reste de l’université, on trouve des projets équivalents pour l’administration qui comprennent la centralisation de tous les agent∙es administratif∙ves, et de nouvelles fonctions — « concepteurs  pédagogiques » (learning designers), des « développeurs universitaires » (academic developers) et des « technologues de l’apprentissage » (instructional technologists). Certains de ces postes ni scientifiques, ni spécialistes, seraient destinés au futur campus imaginé par  la direction au Kazakhstan.

Sans qu’il y a ait jamais eu de discussion e ce projet avec les enseignant∙es-chercheur∙ses, l’information sur les cours « fondamentaux » (“Foundation” courses)  à destination des étudiant∙es kazakh∙es doit être publicisée à partir de mi-février, faisant connaître des programmes d’enseignement conçus dans l’urgence par des collègues qui craignent de perdre leur emploi.

On a dit à certain∙es collègues que se porter volontaire pour enseigner au in Kazakhstan pourrait sauver leur emploi. Selon toute apparence, l’université va se désintégrer à Cardiff et se reconstruire à Astana.

L’ouverture d’un nouveau campus kazakh n’est pourtant qu’un motif supplémentaire pour invalider l’imminence d’un prétendu péril financier. Cardiff University ne connaît pas de difficultés financières à court terme. L’université a en banque près de 188 millions de livres sterling de liquidités pour financer une réorganisation rapide et réfléchie et des investissements dans des nouveaux domaines.

La vice-chancelière a passé les six derniers mois à invoquer la pénurie ; désormais, on nous dit que nous avons également besoin  de « soutenabilité académique ».

Nous voulons savoir ce que tout cela veut dire, et comment la direction en est arrivée à envisager ces coupes sombres dans l’emploi. Au lieu de cela, on nous envoie des tonnes de tableaux, en format .pdf, le vendredi après-midi, sans que des notes explicatives sur lesdits projets soient jointes. Nos avis sur le risque de licenciement indique que des évaluations d’impact en matière d’égalité ont été réalisées ; pour l’heure, nous n’avons reçu que des copiés-collés sur pdf identifiés par les RH comme des documents en cours de stabilisation (« live documents »). Les analyses de rentabilité des projets ne comportent pas de plans financiers. Soit la direction de l’université est horriblement mal préparée, soit elle sape intentionnellement notre capacité à répondre par des contre-propositions.

Non que nous ne sachions de quelle manière répondre. On nous a dit que les contre-propositions ne seraient admises qu’au moyen d’un formulaire standard ; on vient de nous donner ce formulaire. Nous disposons d’une adresse électronique unique pour les commentaires (à utiliser à vos risques et périls). Pendant ce temps, dans mon département, on nous demande d’expliquer notre « résilience » pédagogique — afin d’identifier qui peut assurer les enseignements des autres chercheur∙ses.

Nous craignons d’être licencié∙es si nous disons que nous pouvons être remplacé∙es ; mais nous devons également faire en sorte de sauver l’existence de notre département. Les responsables des facultés « à risque » ont elleux aussi reçu des avis de risque de licenciement, mais sont censément responsables de l’organisation de nos contre-propositions et de conduire les procédures de licenciement, ce qui relève clairement d’un conflit d’intérêt.

Que pouvons-nous faire d’autre, en tant qu’universitaires ? Le Sénat est l’instance la plus haute où les enseignant∙es-chercheur∙ses élaborent la stratégie universitaire, où iels examinent les projets de l’université. Les membres du Sénat ont immédiatement requis une réunion d’urgence — mais bizarrement, elle ne s’est pas tenue tout de suite, avant d’être prévue à quatre semaines, ce qui est le délai maximum prévu par les textes. Mais alors, considérant que la prochaine instance ordinaire du Sénat se tenait une semaine après, cela n’en valait pas la peine, nous a-t-on dit.

La confiance est entièrement rompue. Avant même que le couperet ne tombe, une étude établissait que 31 % des membres du personnel déclaraient faire confiance au conseil d’administration de l’université, en raison de l’honnêteté de ses communications. Des gens sont mort∙es de peur. Trois doyen∙nes (Heads of Schools) — ainsi qu’un∙e représentant∙es des étudiant∙es — ont refusé de s’associer à la demande d’une réunion d’urgence du Sénat par peur de contrarier la direction pendant la période de consultation.

Cardiff UCU a initié un vote pour l’organisation d’une grève contre les licenciements imposés ce lundi 24 février, soit peut-être le seul moyen de pression qu’il nous reste pour contrer les suppressions d’emploi.

L’université a déclenché une bombe à retardement. L’évaluation de l’impact psychologique de ces suppressions d’emploi (autre Pdf du vendredi) précise que nous pouvons nous reposer sur notre hiérarchie. Mon ou ma responsable hiérarchique, un∙e tranquille universitaire au mitan de sa carrière à la recherche reconnue internationalement, est lui ou elle aussi dévastée.

Nous sommes tous∙tes les deux formée pour un emploi d’enseignement spécialisée ; nous faisons de la recherche de pointe, montons des projets internationaux, et assurons des enseignements qui apportent des idées à foison à nos merveilleux∙ses étudiant∙es. Je ne sais pas comment nous pouvons continuer à faire cela avec la perte de si nombreux∙ses collègues et la disparition de départements entiers, avec plus d’étudiant∙es encore par universitaire encore en poste, et sans soutien administratif au niveau du département. Peut-être la motivation sera-t-elle fournie dans un des pdf que nous recevrons quand nous serons licencié∙es.

(Traduction Ch. Rabier)

  1. La Vice-chancelière et présidente est universitaire, mais n’est pas élue parmi les membres de l’université. En l’espèce, Wendy Larner, géographe néo-zélandaise, a eu des responsabilité à Te Herenga Waka—Victoria University of Wellington, New Zealand (2015-2023). []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
L'équipe de rédaction d'Academia (23 février 2025). Deux semaines dans l’engrenage destructeur de l’université de Cardiff. Academia. Consulté le 9 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13cxe


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