Paris-1 suspend un maître de conférences après des propos racistes, sexistes et de la maltraitance pédagogique signalés par les étudiant·es

  • Avec la Calaap (Coordination Antifasciste pour l’Affirmation des Libertés Académiques et Pédagogiques)

Academia suit de longue date les décisions de justice disciplinaire, ou plutôt d’injustice disciplinaire. Les temps changeraient-ils ? Après le jugement exemplaire de Christian Chelebourg, mis à la retraite d’office sur le fondement de larticle 23 de loi 83-843 portant droit et obligations des fonctionnaires1.

« Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ».

Nul besoin, dès lors, d’attendre un jugement pénal pour qualifier des faits de harcèlement sexuel pour considérer que le fonctionnaire a failli à sa mission et doit être sanctionné. Pour autant, instruire et juger restent des activités délicates pour celles et ceux dont ce n’est pas le métier, qui n’ont pas toujours de formation adéquate, et dont les décisions ont des conséquences majeures pour les fonctionnaires et leurs victimes. Afin de participer à la réflexion collective, Academia crée une nouvelle catégorie : Justice disciplinaire.

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Cold in winter. Crédit: Peter Toporowski, 2017

« Quelques crânes fracassés seront sans conséquence puisqu’il n’y a rien dedans »

Pour l’inaugurer, une décision qui a fait les manchettes du Le Parisien que Le Figaro Étudiant  : la suspension pour 6 mois d’Alain S2, maître de conférences en histoire à l’Université de Paris-1. En cause : des propos racistes et sexistes répétés, ainsi que de la maltraitance pédagogique.

À 60 ans, Alain S. était jusque-là un historien respecté, spécialiste reconnu de l’Europe centrale. Maître de conférences à l’université Paris 1 Sorbonne, il a été, selon nos informations, suspendu pour six mois à compter du 17 janvier 2025. Une décision « immédiatement exécutoire » qui s’est accompagnée d’une diminution de la moitié de son salaire. […]

Depuis des années, Alain S. maltraitait ses étudiants, à grand renfort de saillies racistes et sexistes, abusant de son pouvoir. « Il a un comportement parfois troublant et irrationnel, note l’un de ceux qui l’ont croisé. Plus généralement, il est fort avec les faibles. » […] « Je pense que ma plainte a agi comme une mèche sur un baril de poudre », veut croire de son côté Son Lam. — Le Parisien, 6 février 2025.

Considérons sans attendre le texte du jugement disciplinaire, avant d’en proposer un commentaire, en partenariat avec la Calaap, sur le courage des étudiant·es.

1. Une instruction précise, un jugement documenté, une sanction exécutoire immédiatement… en attendant l’appel

Selon Le Parisien, après le prononcé du jugement, Alain S. a fait appel auprès du CNESER. Après avoir menacé la présidente de l’instance, il porte plainte contre plusieurs étudiant·es pour diffamation.

Convoqué à plusieurs reprises à l’automne dernier par la commission de discipline, le mis en cause a d’abord fait la sourde oreille. Mais dans le même temps, il menaçait la présidente de l’instance, qui est aussi l’une de ses collègues, de la signaler au procureur de la République. Il fait de même avec les étudiants, exerçant « des pressions dans le but de les dissuader de témoigner contre lui », voire de « témoigner en sa faveur ». Aux récalcitrants, il laissait planer la possibilité d’éventuelles poursuites, menace qu’il a finalement mise à exécution.

Un tel comportement pose, de nouveau, le rôle critique et exposé des étudiant·es qui signalement des faits délictueux aux instances universitaires.

2. Le courage des étudiant·es, par la CAALAP

C’est avec une profonde consternation qu’on peut prendre connaissance des violences morales infligées à plusieurs étudiant·es de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne par un de leurs enseignants. Face à cela, le courage et la dignité de ces étudiant·es les a poussés à demander justice auprès de la présidente de l’université, qui, après une procédure disciplinaire, leur a donné raison et décidé de suspendre l’enseignant pour six mois, avec privation de la moitié de son traitement. La décision étant immédiatement exécutoire, elle a au moins pour effet immédiat de protéger provisoirement les étudiant·es.

Ainsi, en dépit du climat délétère imposé par les ministres successif·ves de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qui se réapproprient des termes forgés par l’extrême-droite, pour stigmatiser des enseignants-chercheurs taxés d’« islamo-gauchistes » ou de « wokistes » pour leurs travaux critiques, un enseignant-chercheur vient au contraire d’être sanctionné pour ses propos racistes et sexistes. C’est donc avec soulagement que nous saluons le verdict rendu par la section disciplinaire du Conseil Académique de l’Université Paris-I-Panthéon Sorbonne concernant Alain S., maître de conférences en Histoire contemporaine : on ne peut que se réjouir que la justice ait encore les moyens de s’exercer et qu’au sein de l’université, on ne soit pas exposé impunément à toutes les formes de discriminations.

Les atteintes et torts perpétrés sont en effet graves, et ce d’autant plus qu’ils sont répétés et accomplis par une personne exerçant une autorité, ce qui l’oblige selon le Code de l’éducation, à agir dans ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. Les 11 pages du jugement anonymisé rendu public apportent les éléments irréfutables pour conclure qu’il n’est pas une de ces obligations à laquelle l’enseignant n’ait contrevenu nettement et avec constance. En effet, alors même qu’il exerce en sa qualité de maître de conférences, Alain S. publie en 2022 et 2023, sur le réseau social Facebook, des propos haineux et racistes : « Y a pas que les Arabes qui volent et détournent les masques. Les chinois aussi », évoquant encore la « pègre arabe » ou appelant au meurtre des manifestants Gilets jaunes (de la même manière, faut-il le rappeler, qu’un ancien ministre de l’Éducation nationale) : « Quelques crânes fracassés seront sans conséquence puisqu’il n’y a rien dedans ». Cela aurait pu en rester là et cet enseignant aurait pu continuer à proférer publiquement le même genre de propos en toute impunité, si ce n’était le courage des étudiant·es qui ont signalé les publications et les comportements problématiques de l’enseignant auprès de la DAJI3. Faire un tel signalement, malgré l’asymétrie entre étudiant·es et enseignant, a tout d’une lutte de David contre Goliath. Ce sont ces signalements qui ont conduit à l’ouverture, par la présidente procédure trop rarement engagée, qui s’inscrit dans la lutte contre les discriminations racistes et sexistes dont les trop nombreux témoignages privés alertent sur le risque de fascisation au sein de l’université.

Fort heureusement, l’alerte lancée par les étudiant·es a été prise au sérieux, à la suite de quoi une commission d’instruction a pu mener une enquête sur le climat de travail entretenu par Alain S. Les témoignages de ses étudiant·es sont alors éloquents, révélant l’étendue des persécutions et des dérives, questionnant en profondeur l’éthique professionnelle de cet enseignant-chercheur : de saluts nazis, réalisés à « titre illustratif » en cours, au refus de nommer correctement les étudiant·es ayant un patronyme étranger, en passant par l’assimilation des viols de guerre à des « bêtises » et à une simple « parenthèse genrée ». L’ensemble des nombreux éléments révèle l’assurance avec laquelle un enseignant (d’histoire en l’occurrence) peut user et abuser de son autorité et de son pouvoir, pour asséner pendant des années des propos racistes et sexistes, jusque là en toute impunité. Cela aurait pu continuer encore, d’autant plus que M. S. n’a été avare ni de menaces, ni de pressions à l’égard de ceux et celles qui, parmi ses étudiant·es, oseraient témoigner4.

Même si la sanction posée par l’Université est une victoire contre les pouvoirs réactionnaires auxquels par ailleurs elle est loin d’échapper, l’inquiétude demeure, devant le fait que des enseignants-chercheurs puissent ainsi, pendant des années, tenir des propos et avoir des conduites racistes, sexistes ou islamophobes. Combien de ces discriminations sont signalées ? Combien sont sanctionnées, alors que, trop souvent, nous assistons à l’inversion de l’imputation qui assigne aux acteurs de la lutte antiraciste une forme de « racisme inversé » ? Jusqu’où peuvent aller les menaces de représailles à l’encontre de ceux qui résistent à cette fascisation ? Pour mettre fin à cette impunité, il est essentiel à la fois de soutenir celles et ceux qui, étudiant.es ou enseignant.es, réagissent et résistent, et de recourir collectivement aux moyens judiciaires de faire respecter les droits de tous∙tes dans les universités. Mais aussi, sans doute, d’offrir aux étudiant·es la protection des libertés universitaires.


En ligne

  1. Repris depuis par l’article 3 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et sans doute dans le Code général de la fonction publique. []
  2. Le mis en cause ayant fait appel, la présomption d’innocence s’applique jusqu’à la condamnation définitive. Pour justifier ce refus de l’anonymisation, nous reprenons ici les arguments de Mediapart en 2019 : “Titulaires de la fonction publique, leurs responsabilités sont publiques“. Toutefois, par respect pour le travail des équipes d’Hypotheses.org, nous préférons demander au service juridique du CNRS si la non-anonymisation pose un quelconque problème. []
  3. Direction des affaires juridiques et Institutionnelles. []
  4. NDLR. Selon nos informations, l’enseignant aurait bel et bien engagé une procédure — une citation directe devant le tribunal judiciaire — contre les quatre étudiant·es de TD qui ont procédé aux signalements. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
L'équipe de rédaction d'Academia (9 février 2025). Paris-1 suspend un maître de conférences après des propos racistes, sexistes et de la maltraitance pédagogique signalés par les étudiant·es. Academia. Consulté le 19 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13a9r


Une réflexion sur « Paris-1 suspend un maître de conférences après des propos racistes, sexistes et de la maltraitance pédagogique signalés par les étudiant·es »

  1. Cela aurait pu continuer encore, d’autant plus que M. Soubigou n’a été avare ni de menaces, ni de pressions à l’égard de ceux et celles qui, parmi ses étudiant.es, oseraient témoigner….

    Petite note pour rire ou le secret de Polichinelle démasqué…

    Une sage décision face au fascisme en marche.

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