Les établissements publics d’enseignement supérieur multiplient les partenariats avec des entreprises mécènes. Les universités n’hésitent pas à communiquer fièrement sur la signature de ces accords. Pourtant, les détails des contrats restent secrets : le montant du mécénat, les conditions du financement et les contreparties consenties sont confidentiels, au nom du “secret des affaires”. Pour mettre fin à cette opacité, une nouvelle association tente d’obtenir une victoire décisive devant le Conseil d’État.

L’association Acadamia¹, fondée récemment pour défendre la transparence et l’accès aux documents administratifs dans l’enseignement supérieur, la recherche et la culture, lance un financement participatif dans le cadre d’un contentieux porté devant le Conseil d’État sur la question, cruciale, de la transparence des conventions de mécénat.

Aidez-les à gagner ce combat qui fera jurisprudence dans le sens de la transparence !

Dans le sillage de la “licence BNP”

Vous vous en souvenez peut-être : il y a quelques années, le collectif PSL contre-attaque avait bataillé contre l’ouverture de la licence “Sciences pour un monde durable” à PSL, financée par la banque BNP Paribas.  La place centrale de ce mécène dans le budget de cette formation avait en effet fait scandale en raison de ses investissements massifs dans les projets d’extraction d’énergies fossiles.

Suite à la mobilisation contre le projet, l’ouverture prévue en 2019 n’a pas eu lieu ; mais la formation a finalement vu le jour en 2020, après qu’Alain Fuchs a assuré que les aspects les plus controversés du partenariat avaient été corrigés..

Le collectif PSL contre-attaque avait alors voulu avoir accès au détail des engagements liant l’université PSL et BNP Paribas. Pour cela, il avait demandé à avoir accès à la convention de mécénat, qui contient notamment les montants versés par l’entreprise à l’université, mais aussi l’échéancier, les conditions de confidentialité, les modalités de gouvernance ou encore d’autres clauses léonines comme des clauses de respect de l’image de l’entreprise.

Au terme d’une longue bataille juridique devant le tribunal administratif de Paris, le collectif PSL contre-attaque a gagné en avril 2022, les juges obligeant PSL à communiquer le document sous un mois, comme cela a été documenté de manière détaillée sur Academia². PSL avait fini par s’exécuter, ce qui a permis au collectif de dévoiler les montants en jeu et de battre en brèche le discours trompeur d’Alain Fuchs sur le rôle secondaire que jouerait BNP Paribas dans le financement de la licence.

Mécénat : contrats cachés et clauses bâillon

Au-delà du financement de la licence “Sciences pour un monde durable”, c’est l’existence d’une “clause de non-dénigrement” du mécène par l’université PSL qui avait soulevé de vives inquiétudes, liées notamment à la liberté académique.

Un autre contrat de mécénat avec PSL, obtenu cette fois par l’association Acadamia, concernant la chaire “beauté(s)” financée par l’Oréal, contient une clause similaire :

“PSL s’interdit de tenir des propos négatifs et/ou de dénigrer l’Entreprise, ses membres, ses produits ou ses employés”

((Le contrat de PSL avec l’Oréal pour la chaire “beauté(s)” est disponible ici. Il est important de saluer le fait que, cette fois-ci, l’université PSL a fait le choix de respecter ses obligations de transparence en répondant à la demande de l’association Acadamia plutôt que de protéger les intérêts des entreprises.)).

Ces cas de “clauses-bâillons” à PSL sont loin d’être isolés. Dans une convention de mécénat signée en 2023 par TotalEnergies pour financer l’université de Lorraine à hauteur de 2000€, une clause stipule par exemple que l’établissement³.

“s’abstiendra de faire toute communication, directe ou indirecte, écrite ou orale, susceptible de porter atteinte à l’image et à la notoriété de TotalEnergies”.

L’association Acadamia, dans le cadre de ses activités récentes, a demandé à plus d’une dizaine d’établissements de voir leurs contrats de mécénat. Souvent, les établissements refusent de communiquer ces documents, ou répondent avec des documents caviardés. Cela concerne autant les universités que les grandes écoles : les liens avec les entreprises échappent donc au contrôle citoyen.

Le secret des affaires, obstacle à la transparence

Ces conventions de mécénat sont pourtant signées par des établissements publics. Cet argent sert au financement du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ces opérations permettent aux entreprises mécènes de défiscaliser. Mais l’opacité demeure la règle.

Pourtant, la volonté du législateur est claire : les documents relatifs au fonctionnement et au financement d’établissements publics sont des documents administratifs. Toute personne qui en fait la demande devrait pouvoir en obtenir une copie.

Pour déroger à ce principe qui pose la transparence comme règle générale, les établissements invoquent le “secret des affaires”, notion fourre-tout créée par une loi de 2018 : ils estiment que la publication de ces contrats pourrait nuire au mécène. Ce faisant, ils font primer l’intérêt privé de l’entreprise sur l’intérêt général.

Le Conseil d’État devra statuer

En 2022, des membres de l’association Acadamia ont demandé à l’École polytechnique de leur transmettre l’ensemble des contrats de mécénat signés par l’établissement, pour examiner et documenter les liens entre cette école d’ingénieur et les entreprises privées. Suite au refus de Polytechnique, ils et elles ont saisi le tribunal administratif de Versailles, qui a statué en leur sens et enjoint l’établissement de leur communiquer les documents demandés. Victoire ? Pas si vite ! Au lieu d’exécuter la décision du tribunal, Polytechnique a décidé de saisir le Conseil d’État pour tenter de faire invalider le jugement ((Libération a récemment raconté en détail ce combat de l’association Acadamia.)).

Dans les prochains mois, le Conseil d’État devra donc se prononcer sur la question suivante : lorsqu’une entreprise finance un établissement public d’enseignement supérieur, le contrat de mécénat est-il couvert par le secret des affaires, ou bien doit-il être rendu public ?

Cette décision est particulièrement importante car la décision du Conseil d’État fera jurisprudence : une fois la décision rendue, tous les tribunaux administratifs de France s’aligneront sur cette décision pour tous les dossiers futurs. C’est donc une décision de principe qui dépasse le cas spécifique de Polytechnique.

Une mobilisation pour la transparence

L’opacité actuelle détruit la confiance dans les institutions scientifiques. Elle est incompatible avec l’éthique de la recherche, puisque les liens d’intérêts sont dissimulés. Il est urgent de poser la transparence comme condition préalable à tout partenariat entre entreprises et établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche, afin de pouvoir développer des collaborations sur des bases saines.

Aidez Acadamia à faire triompher la transparence face aux intérêts privés ! L’association a lancé une cagnotte pour financer les avocats qui vont les représenter devant le Conseil d’État. En parallèle de la procédure juridique, nous saisissons l’opportunité de ce contentieux pour appeler l’ensemble de la communauté académique à se mobiliser pour la transparence.

La cagnotte pour le financement participatif : https://www.helloasso.com/associations/acadamia/collectes/mecenat-on-veut-voir-les-contrats Le site de l’association Acadamia : https://asso-acadamia.fr/

1. Notez le clin d’œil à Academia, qui fait aussi référence à la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs). [↩]
2. NDLR: Academia avait relayé ce combat: Mécénat, greenwashing et premier cycle : turpitudes à PSL, 26 mai 2020; La convention de mécénat de la licence BNP de PSL enfin dévoilée, 16 février 2021; Contre l’avis du CNESER, le MESRI attribue le grade de licence au diplôme de PSL financé par la BNP; 25 novembre 2021. [↩]
3. Le document est disponible ici. Ce contrat est assez représentatif des conventions de mécénat régulièrement signées par des universités ou grandes écoles. Il est important de saluer le fait que l’université de Lorraine est l’un des rares établissements à avoir fait le choix de respecter ses obligations de transparence en répondant à la demande d’Acadamia plutôt que de protéger les intérêts des entreprises. [↩]

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