Academia est devenu, avec le temps, une ressource pour celles et ceux qui subissent des violences au travail. D’abord pour identifier les violences, dans une société universitaire où le niveau d’hostilité, en particulier celui suscité par les agissements sexistes, serait intolérable à qui n’y aurait pas été socialisé tôt¹. Ensuite, pour trouver un groupe d’interlocuteur∙ices-ressources quand les soutiens qui devraient opérer sont inexistants ou se sont effondrés. Enfin, pour trouver des stratégies pour y remédier.

Parmi ces stratégies, documenter les violences est de première importance. Vous pouvez les documenter pour vous, mais des outils réglementaires pour le faire existent. Parmi ces outils, il existe un outil simple, extrêmement puissant, à plusieurs atouts : la déclaration d’accident de travail. Les Orientations stratégiques ministérielles 2024 en ont souligné l’intérêt pour la lutte contre les violences.

Le billet qui suit n’a pas vocation a se substituer aux notes des directions des ressources humaines, ou des fiches syndicales². Il n’entre pas dans les distinctions administratives entre accident de service — pour les fonctionnaires —, de travail — pour les contractuel·les — et autres CIVIS : reportez-vous à la documentation existant sur les sites du gouvernement. Le billet vise néanmoins à vous donner quelques clefs afin que l’outil « accident de service » joue pleinement son rôle, pour l’agent·e, mais aussi pour le collectif de travail dans lequel l’agent a été agressé.

Avant-propos

Redisons-le ici : la violence en milieu académique est très élevée, au point où on n’imagine pas qu’un événement désagréable puisse occasionner un accident de travail, voire un arrêt de travail : les Orientations stratégiques ministérielles 2024 observent d’ailleurs une sous-déclaration dans l’ESR.

Pourquoi iriez-vous déclarer un accident de travail alors que vous n’utilisez pas au quotidien de machines dangereuses, par ex. ? En prévention de la santé au travail, toutes les violences, volontaires ou involontaires physiques ou morales,  sont à risque.C’est pourquoi il est de la plus haute importance de les déclarer.

Un collègue vous injurie publiquement ? Il le fait régulièrement. Même ou surtout si personne ne réagit : faites une déclaration. Vous chutez à cause d’un câble alors que vous êtes en télétravail et vous vous faites une méchante entorse ? Déclarez l’accident. Vous recevez un courriel vous « informant » que tous vos cours de Master vous sont retirés avec un motif fallacieux ? C’est un événement traumatique pour vous ; vous y percevez de la malveillance des collègues et cela entraîne de vives émotions qui vous empêchent de dormir ? Déclarez l’accident. Votre supérieure hiérarchique vous a fait une remarque dont vous percevez le racisme et dont la formulation ne laisse pas la place au doute, contrairement à d’autres fois, ce qui entraîne un malaise, une baisse dans l’estime de soi, des crispations de ventre? Faites une déclaration. Vous faites un malaise sur votre lieu de travail, que vous comprenez comme une réaction physique au surmenage de la rentrée, alors que vous êtes obligée d’assurer le secrétariat pédagogique et qu’aucun logiciel ne fonctionne ? Faites une déclaration d’accident du travail et reposez-vous : même si vous mettez les collègues ou les étudiant∙es en difficulté, ce n’est pas en épuisement professionnel ou après un arrêt cardiaque que vous serez plus utile.

Qu’est ce qu’on peut déclarer comme accident du travail? On peut déclarer toute maladie psychique d’origine professionnelle en accident du travail s’il existe un évènement déclencheur précis. Peu importe que ce soit: une crise de panique ou d’angoisse une crise de nerfs ou de larmes un malaise ou un évanouissement un état de choc psychologique une crise d’hypertension C’est ce qu’on appelle un ESA, un état de stress aigu. Quel qu’il soit, et quelle qu’en soit la cause. La source peut être une situation de harcèlement, une dispute, une remontrance, une aggression verbale, par un supérieur, un collègue, ou un client. Elle peut aussi être un burn-out, une surcharge de travail qui pousse à bout. N’importe quel facteur de stress qui mène à un état de crise. Pour être qualifié d’accident du travail, un événement doit réunir ces critères: être soudain représenter une lésion corporelle ou psychique se passer au cours où à l’occasion du travail, devant des témoins. L’incident doit être constaté médicalement, donc appeler une ambulance ou le SAMU soutient fortement l’accident de travail. Extrait de Comment obtenir la reconnaissance en accident du travail ou maladie professionnelle, Souffrance & travail, 8 septembre 2024

L’employeur est responsable de votre santé au travail, avec obligation de résultats. À vous de remettre les curseurs de ce qu’est votre santé au travail au bon niveau.

C’est-à-dire au maximum.

1. Pourquoi déclarer un accident de service ? 

L’accident de travail, plutôt bien connu quand il s’agit d’accident de trajet ou de mission, ou une blessure. On connaît mal son usage pour les violences psychologiques. Or l’expérience d’une violence sur le lieu de travail peut avoir des conséquences à court et moyen terme, dont l’employeur est strictement responsable, en vertu de l’article L. 4121-1 du Code du travail.

L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ; 2° Des actions d’information et de formation ; 3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

L’intérêt de déclarer un accident de service en cas d’expérience de la violence sur le lieu de travail — dans les couloirs du laboratoire, en réunion, en ouvrant un courriel — prend tout son sens : d’une part, il matérialise les faits, par la déclaration, complété éventuellement par des éléments matériels ou le témoignage d’un tiers ; d’autre part, il fait consigner par un médecin, par le certificat médical, la dimension clinique de l’atteinte faite à l’agent, y compris par l’octroi de jours d’arrêt de travail.

Cette déclaration est nécessaire, mais non suffisante pour que l’accident soit reconnu « imputable au service », c’est-à-dire que l’employeur reconnaisse sa responsabilité. En cas de non-reconnaissance, il existe des recours. Mais si l’accident est reconnu imputable au service, l’employeur doit vous verser la totalité du salaire le temps de l’arrêt — que le médecin peut prolonger s’il le juge nécessaire —, doit prendre en charge vos soins, y compris les soins psychologiques dont vous avez besoin le temps de vous remettre complètement, soit des semaines, voire des mois, en fonction de l’atteinte. Très pratiquement :

• Lors de la déclaration d’accident et après la reconnaissance de l’imputabilité à l’employeur, ce dernier doit couvrir tous vos soins, dont vos frais de consultations en psychologie (rarement couvertes par la Sécurité sociale), mais aussi toutes les consultations afférentes.
• Un∙e agent∙e qui subit un événement sur le travail qui déclenche un épisode dépressif long se trouve protégé∙e au-delà des trois mois d’arrêt, puisqu’iel reçoit son traitement plein jusqu’à guérison complète.
  Les arrêts pour blessure psychologique peuvent être très longs. Academia a ainsi connaissance d’un arrêt de travail imputable au service de 2 semaines, renouvelé jusqu’à durer 8 mois ou 2 ans – notamment parce que les conditions de reprise n’étaient pas réunies pour éviter le risque de rechute.
• Politiquement, la déclaration d’accident de service restaure l’ordre des responsabilités, en levant la responsabilité individuelle de l’agent∙e victime. En optant pour l’accident de service quand la situation s’y prête, l’agent victime cesse de se sentir tenu∙e responsable «  d’être (encore !) en arrêt », alors que c’est bien la responsabilité de l’employeur qui en est la cause. Il vaut mieux être en arrêt et/ou en soins que de déclencher un épisode dépressif majeur, ou de développer des pensées suicidaires, bref de « perdre sa vie et sa santé en la gagnant ».
• Autre conséquence, les accidents du travail correctement déclarés sont comptabilisés anonymement dans le Rapport social unique : en cas de hausse des déclarations d’accidents, l’établissement ne peut faire comme s’il ne savait pas. S’il ne prend aucun mesure, sa responsabilité se trouve davantage engagée.
• Dans un monde idéal, si l’employeur appliquait la loi, ce dernier prendrait des mesures pour que la cause de l’accident cesse ou ne puisse se reproduire : c’est-à-dire une analyse des accidents du travail. En pratique, cela n’adviendra que si les agent∙es de l’ESR commencent à déclarer correctement les accidents de service.

Employant souvent plus de 50 agent∙es, l’employeur universitaire a des obligations accrues en matière de prévention des risques au travail. En raison de son obligation de prévention (L. 4121-1 et 4121-2 du Code du travail), il a aussi une contribution plus élevée à verser à la caisse des accidents du travail et des maladies professionnelles, somme qui est fonction du nombre d’accidents du travail déclarés.

En résumé : lorsque vous déclarez un accident du travail et que celui-ci est reconnu, l’employeur doit mettre la main an portefeuille non seulement en maintenant intégralement votre salaire et en payant vos soins, mais également en versant une cotisation plus élevée à la Sécurité sociale. D’où les stratégies bien identifiées des employeurs universitaires:

•  ne pas vous informer sur vos droits ;
• vous proposer de remplir un formulaire « maison » de la déclaration du travail  difficilement opposable en cas de contentieux ;
• ne pas organiser de prévention.

L’accident de service est donc un outil vraiment important de défense des droits et pour faire baisser considérablement la violence professionnelle interne et externe

2. À quelle occasion ?

Redisons-le ici : la violence en milieu académique³  est très élevée, au point où on n’imagine pas qu’un événement désagréable puisse occasionner un accident de travail, voire entraîner un arrêt de travail.

3. Quand déclarer un accident de service ? 

Un accident survenu pendant le service — sur le lieu de travail, en télétravail, à l’ouverture d’un courriel professionnel, en mission — doit être déclaré dans les 48h. Et au plus tard dans les deux ans. Il est cependant crucial de faire la déclaration dans les 48h, puisqu’alors  c’est à l’employeur de fournir les preuves qu’il ne s’agit pas d’un accident imputable au service ; au-delà, c’est à l’agent∙e de faire la preuve que l’accident a bien un lien avec le travail.

3. Comment ?  

Il existe un document officiel Cerfa accessible en ligne et qui est le seul formulaire à utiliser.

Formulaire Cerfa Accident de travail

La déclaration doit mentionner un accident, soit un événement localisé dans l’espace et dans le temps, occasionnant une rupture avec l’activité qui précède. Il faut donc s’assurer que la structure narrative adoptée traduise que « nous avions une discussion sur le chapitre 3 de ma thèse; tout allait bien quand tout à coup mon directeur de thèse a posé ses mains sur mes fesses et a touché mes seins », pour prendre un exemple. Faire des insomnies liées au travail ne peut pas être considéré comme un accident : en revanche, avoir été agressé par un supérieur hiérarchique par téléphone, alors que vous étiez en télétravail, ce qui a déclenché des insomnies, oui.

Essayer au maximum de caractériser, parmi les conséquences somatiques de l’accident. Une liste demandant d’identifier les liaisons existe ;  pour tous les accidents ne causant pas de blessures physiques, vous pouvez cocher CHOC, mais aussi toutes les conséquences cliniques de ce choc : insomnies, météorisme, ruminations, difficulté à respirer, tachycardies, crises de larme, etc. Cela donne une dimension clinique aux atteintes psychologiques (qui ont en effet des conséquences physiques) qu’on oublie souvent de mentionner, mais souvent indispensable pour bien caractériser l’accident comme ayant des conséquences médicales.

Pour la description, soyez aussi factuel∙le que possible sans jugement de valeur, en précisant ce que vous faisiez avant (de vous faire hurler dessus/ recevoir le mail/ …), décrire précisément (date/heure) le moment de l’accident, ses circonstances, les interactions que vous avez eues (en demandant aux collègues de confiance qui y ont assisté si vous pouvez mentionner leur nom et fonction comme témoin.

Pour les autres (témoins moins fiables, ou à qui vous n’avez pas demandé autorisation) “un collègue” ou la fonction “directrice de l’unité” suffisent. Pas besoin de beaucoup de témoins : si vous avez le choix, un∙e amie a une force de véridicité plus forte que le ou la conjoint∙e qui vient vous chercher parce que vous n’arrêtez pas de pleurer aux toilettes).

4. Pourquoi aller chez le médecin  ?

Il ne peut y avoir de déclaration d’accident de service sans qu’un certificat médical Cerfa soit joint. En cas de violences aux conséquences moins directement visibles qu’une fracture, le médecin peut mentionner « état post-traumatique » ou « troubles anxieux ».

 

Notez que le médecin ne peut établir le lien avec le travail — c’est votre déclaration qui le fait — mais il vous écoute et peut, par cette écoute, à vous aider à mieux structurer votre déclaration et à bien mettre en évidence le déroulé des faits dans votre déclaration.

 

En revanche le médecin :

1° établit un certificat pour l’employeur attestant de la réalité clinique des conséquences de ce que vous lui indiquez penser être un accident de service

2° s’iel le juge nécessaire, il vous prescrit un arrêt de travail. Bien souvent —  comme on a un degré d’acceptation de la violence professionnelle très (trop) élevé, on ne mesure pas le temps nécessaire pour se remettre. Donc s’iel vous dit «15 jours », prenez 15 jours.

Si vous ne voulez pas du tout être arrêté∙e (alors que le médecin le juge nécessaire), prenez au moins 3 jours, quitte à vous faire réévaluer après 3 jours. Les blessures traumatiques ont des effets tardifs – d’où la possibilité de déclarer plus tard un accident du travail. Les effets structurels de la déclaration d’accident de travail — et donc de la déclaration que vous n’êtes pas responsable, mais victime de la situation et de votre mal-être — ne peuvent être minorés. Cette reconfiguration des responsabilités invite souvent à une prise de recul et une demande de soins qui n’était pas prévue au départ par l’agent∙e.

5. Et après ? Établir une stratégie collective

Une fois la déclaration effectuée auprès de votre employeur, il y a des procédures administratives, d’abord pour faire reconnaître l’imputabilité de l’accident à l’employeur ; puis d’attester que l’arrêt de travail est nécessaire, par une consultation d’un médecin expert. Il y a des voies de recours possibles pour lesquels peuvent vous accompagner les représentant∙es syndicaux de votre choix.

L’employeur n’a pas intérêt à ce que ces accidents soient connus : dans le doute, pensez à faire parvenir copie de votre déclaration à la médecine de prévention ; mais également, à la Formation spécialisée Santé-sécurité-Conditions de travail (FSSSCT), qui peut, par l’article 64 du décret n°1427-2020, voter une enquête de prévention afin d’examiner les faits et d’identifier les causes de l’accident. Si l’accident est reconnu imputable au service, la FSSSCT en sera nécessairement informée et pourra agir pour remédier aux causes correctement identifiées, par des préconisations qui sont votées et s’imposent à l’employeur.

L’accident est un outil, mais il n’est qu’une étape dans une stratégie dont vous êtes le héros ou l’héroïne :

•  demande de protection fonctionnelle ;
• enquête administrative diligentée par l’employeur et éventuelles sanctions disciplinaires⁴ ;
• plainte pénale contre votre employeur pour avoir manqué à ses obligations de protection⁵ ;
• recours auprès du tribunal administratif…
• demande de réparations civiles après obtention d’une condamnation pénale, etc.

Ces stratégies se font en relation avec votre syndicat, votre avocat∙e — considérant que les directions juridiques se mettent rarement au service des agent-es. À vous de jouer !

Ressources

Syndicats et lecteurices sont invité·es à partager liens et documents.

• • Accidents du travail/ Maladies professionnelles, INRS (site de référence en matière de prévention et santé au travail)
  • Comment obtenir la reconnaissance en accident du travail ou maladie professionnelle, Souffrance & travail.

Orientations stratégiques ministérielles 2024, FS-SSCT MESR. Voir aussi les OSM pour les années 2019, 2020, 2021, 2022 et 2023.

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Sur Academia

• Santé & sécurité au travail : les OSM 2024 sont arrivées !, 10 mars 2024
• Santé au travail dans la fonction publique : la faire revenir « par la porte ou par la fenêtre », 1^er mai 2024

1. Outre les violences sexistes et sexuelles mesurées par l’Observatoire étudiant des violences sexistes et sexuelles, la CPESR a conduit une enquête éclairante en 2023 — et vous invite à répondre à celle de 2024  mais il manque encore de nombreux indicateurs à commencer par un indicateur fiable sur les morts imputables au travail dans l’ESR. [↩]
2. Syndicats et lecteur·ices peuvent partager des liens vers des ressources en fin de billet. [↩]
3. On se reportera ici au récent numéro de Mouvements (2023/ 113) “Violences académiques ordinaires” par exemple. [↩]
4. mais vous ne décidez rien, ni de l’ouverture de l’enquête, ni de sa conduite, ni de ses conclusions. [↩]
5. à préférer à la plainte contre le harceleur souvent [↩]

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