Partout en France, les universités changent de statut : elles deviennent des Établissement Publics Expérimentaux, sortant du droit commun.

Si cette attaque contre les acquis de mai 68 — voire l’Université comme une communauté, dans laquelle tout le monde à la parole, personnels comme étudiant·es, avec peu de pression de l’extérieur, garantissant à la communauté un minimum d’indépendance — est maintenant bien avancée, une autre est en cours, par laquelle des Unités de Formation et de Recherche (UFR, les briques de base de l’université) se font transformer en autre chose : des écoles universitaires. Faut-il s’en inquiéter ? (spoiler : oui)

Les unités de formation de recherche

Par un abus de langage ou un vague-à-l’âme réactionnaire, on parle souvent de «faculté» pour désigner un champ disciplinaire d’une université («la fac de sciences», «la fac de droit»,…), comme on parle de «doyen» pour désigner la personne à sa tête. Ce sont pourtant des termes assez incongrus — aussi incongrus que si on parlait encore du royaume de France alors que le régime juridique, et les principes sous-tendant notre conception de l’État, ont en théorie bien changé.

Jusqu’à 1968, l’organisation de l’enseignement supérieur en France est très vertical : des facultés disciplinaires, où ceux qu’on appellerait aujourd’hui «rang A» (professeurs titulaires de chaire et maîtres de conférences — à ne pas confondre avec les maîtres de conférences actuels) décident collectivement des futurs recrutements avec un doyen, nommé par le ministre, comme arbitre ; des universités, sans personnalité juridique, présidées par le recteur (lui aussi, évidemment, nommé par le ministre).

La loi Faure vient balayer tout ça : les facultés sont remplacées par des «unités d’enseignement et de recherche» (UER, plus tard renommées UFR), administrées par un conseil où sont représentées toutes les catégories parties à la communauté universitaire : personnels de tout type et étudiant·es. Ce conseil élit un directeur·rice, choisi parmi les enseignant·es de l’UER. Les UER sont regroupées en universités, elles-mêmes administrées par des conseils élus par toute la communauté — et à ce titre, rapidement surnommés «conseils centraux» —, conseils élisant un président. Et pour faire bonne mesure, la loi Faure prévoit aussi des Conseils Régionaux de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, eux aussi élus, et censés organiser les universités à l’échelon académique¹ et le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER), chargé de conseiller le ou la ministre.

Bref, démocratisation à tous les étages : les UER comme les universités élaborent elles-mêmes leurs statuts, sont auto-administrées,… Avec tout de même une asymétrie : l’université peut disposer des UER comme elle le souhaite (fusion, découpage, création), mais pas dans l’autre sens : un UER ne peut pas décider de quitter une université ; et de toute façon, une université doit compter plusieurs UER.

Les instituts et écoles

Mais dans ces universités naissantes, tout n’était pas UER : en effet, avant 1968, tout n’était pas faculté. Si certaines composantes ont pris leur indépendance (les différentes écoles), d’autres ont été intégrées dans les universités, en gardant leur statut dérogatoire. Ainsi, les instituts universitaires de technologie. Créés en 1966, le décret n^o 69-63 du 20 janvier 1969 relatif aux instituts de technologie universitaire (qui met leurs statuts en conformité avec la loi Faure) leur permet d’être indépendant ou partie d’une université, et prévoit que même s’ils font partie d’une université, ils gardent toute une partie de leur indépendance. Enfin, ils sont gérés de manière moins démocratique que les autres composantes (on reviendra dessus après).

Les IUT ont depuis tous été absorbés par les universités, mais ils ont gardé leurs particularités, ainsi que tout un tas d’autres types d’instituts qui maintenant constituent des cas à part, dérogatoires au statut des UFR : IUT, IPAG (instituts de préparation à l’administration générale), OSU (observatoires des sciences de l’univers), instituts du travail, instituts universitaires professionnalisés, écoles internes de formation d’ingénieurs, écoles polytechniques universitaires, instituts d’études politiques, instituts d’administration des entreprises, écoles de gestion, écoles internes aux universités ayant pour mission la formation initiale de sages-femmes, et autres écoles et instituts

Comparaison

Aujourd’hui, les universités sont composées, d’après l’article L. 713-1 du code de l’éducation, de :

1. Des unités de formation et de recherche, des départements, laboratoires et centres de recherche, et d’autres types de composantes créés par délibération du conseil d’administration de l’université après avis du conseil académique ;

2. Des écoles ou des instituts, créés par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur sur proposition ou après avis du conseil d’administration de l’université et du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche ;

3. Des regroupements de composantes créés par délibération du conseil d’administration de l’université après avis du conseil académique ou, le cas échéant, pour les regroupements d’écoles ou d’instituts prévus au 2°, par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur sur proposition ou après avis du conseil d’administration de l’université et du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les statuts de l’université peuvent prévoir que sont déléguées à ces regroupements de composantes certaines des compétences du conseil d’administration ou du conseil académique, à l’exception des compétences de la section disciplinaire ou de la formation restreinte aux enseignants-chercheurs.

Le statut des UFR non-médicaux est régi par l’article L. 713-3, les écoles et instituts par l’article L. 713-9. Ces articles étant parallèles, voyons les paragraphe par paragraphe.

Qui dirige ?

Pour les UFR :

Les unités de formation et de recherche associent des départements de formation et des laboratoires ou centres de recherche. Elles correspondent à un projet éducatif et à un programme de recherche mis en oeuvre par des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs relevant d’une ou de plusieurs disciplines fondamentales.

 

Les unités de formation et de recherche sont administrées par un conseil élu et dirigées par un directeur élu par ce conseil. […]

 

Le directeur est élu pour une durée de cinq ans renouvelable une fois. Il est choisi parmi les enseignants-chercheurs, les enseignants ou les chercheurs qui participent à l’enseignement, en fonction dans l’unité.

Pour les écoles :

Les instituts et les écoles faisant partie des universités sont administrés par un conseil élu et dirigés par un directeur choisi dans l’une des catégories de personnels qui ont vocation à enseigner dans l’institut ou l’école, sans condition de nationalité. Les directeurs d’école sont nommés par le ministre chargé de l’enseignement supérieur sur proposition du conseil et les directeurs d’instituts sont élus par le conseil. Leur mandat est de cinq ans renouvelable une fois.

La différence est nette. Dans un cas, un directeur élu, dans l’autre un directeur nommé par le ministère.

Qui est membre du conseil ?

Pour les UFR :

Le conseil, dont l’effectif ne peut dépasser quarante membres, comprend des personnalités extérieures dans une proportion de 20 à 50 %. Dans tous les cas, les personnels enseignants doivent être en nombre au moins égal à celui des autres personnels et des étudiants.

Pour les écoles :

Le conseil, dont l’effectif ne peut dépasser quarante membres, comprend de 30 à 50 % de personnalités extérieures, dont un ou plusieurs représentants des acteurs économiques ; les personnels d’enseignement et assimilés y sont en nombre au moins égal à celui des autres personnels et des étudiants. Le conseil élit pour un mandat de trois ans, au sein des personnalités extérieures celui de ses membres qui est appelé à le présider. Le mandat du président est renouvelable.

Donc, plus de membres extérieurs pour une école, et un·e président·e extérieur·e. Pour l’instant, c’est sans appel, devenir une école, c’est juste diminuer la démocratie interne.

Un dernier truc

Mais ce n’est pas tout ! Non content d’être nommé·e par le/la ministre, le ou la directrice a plus de pouvoir que dans un UFR : les paragraphes suivants n’ont aucun parallèle dans l’article L. 713-3 du code de l’éducation.

Le conseil définit le programme pédagogique et le programme de recherche de l’institut ou de l’école dans le cadre de la politique de l’établissement dont il fait partie et de la réglementation nationale en vigueur. Il donne son avis sur les contrats dont l’exécution le concerne et soumet au conseil d’administration de l’université la répartition des emplois. Il est consulté sur les recrutements.

 

Le directeur de l’institut ou de l’école prépare les délibérations du conseil et en assure l’exécution. Il est ordonnateur des recettes et des dépenses. Il a autorité sur l’ensemble des personnels. Aucune affectation ne peut être prononcée si le directeur de l’institut ou de l’école émet un avis défavorable motivé.

 

Les instituts et les écoles disposent, pour tenir compte des exigences de leur développement, de l’autonomie financière. Les ministres compétents peuvent leur affecter directement des crédits et des emplois attribués à l’université.

Donc, si on résume, la direction est plus puissante (elle prend certaines prérogatives de la présidence de l’université) et des crédits et emplois peuvent leur être attribués directement.

Pratique si un ministère (pas forcément celui de l’enseignement supérieur) veut flécher des crédits directement pour certaines formations d’une université, demandant de l’orienter dans un certain sens, sans risquer que cet argent serve à autre chose, ou pire encore, que son utilisation soit décidée collégialement !

Il faut s’en faire

Si on vous propose de devenir école universitaire, le deal est donc simple : donner toute son indépendance contre… la promesse de financements ? On commence à connaître ce genre de deals.

Petit détail pour la route, l’article L. 713-1 prévoit que les écoles sont créées par arrêté ministériel. Donc, au fond, peut-être qu’on ne vous demande pas vraiment votre avis. Vraiment un super deal.

Bonus : le nom «école universitaire» est aussi utilisé pour nommer des composantes d’EPE. Là, évidemment, c’est encore pire : aucun cadrage législative, tout est possible.

 

Bandeau : Chaire (en forme de baleine) de l’église Saints-Pierre-et-Paul, Église de Duszniki, Pologne

1. Ils ne seront jamais mis en place [↩]

---

---