Le Haut Conseil pour l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres), dinguerie bureaucratique française dirigée depuis fin 2020 par le très blanquero-macroniste Thierry Coulhon, serait-il en train de frôler l’accident industriel, façon armée russe, à l’occasion de la vague C d’évaluation des universités, écoles doctorales et unités de recherche, en cours actuellement dans un cinquième des établissements français ? C’est la question que se pose la Rédaction d’Academia, à la suite de très nombreuses « remontées de terrain » de nos valeureux collègues qui sont en train d’endurer, le mot n’est pas trop fort, cette vague scélérate.

Spoiler : le boycott des comités d’évaluation commencerait à porter ses fruits dans cette débâcle du HCERES constatée sur le terrain.

Avant de préciser l’étendue du désastre, un petit rappel de calendrier s’impose pour bien comprendre les enjeux de cette vague C. Arrivée en novembre 2020 à la tête du haut conseil après un rocambolesque processus de nomination, le très controversé conseiller élyséen avait dû ronger son frein et laisser passer la vague B (initiée par son prédécesseur et étalée sur deux saisons pour cause de covid, pardon de grippette d’après son grand copain Didier Raoult) avant de pouvoir déployer tout son génie créatif et bâtir une vague C à la hauteur de ses ambitions de grand architecte de l’ESR.

On a tous en mémoire le résultat concret du premier volet de cette éblouissante réforme : une levée de bouclier sans précédent, dès janvier 2021, de près de 700 directeurs de laboratoire dénonçant l’évolution délirante du référentiel d’évaluation de la recherche. Jacques Lacan et sa théorie de la jouissance avaient alors été convoqués en urgence par Academia pour tenter d’expliquer cette nouvelle forme de névrose bureaucratique obsessionnelle, mal dominant de l’ESR français depuis près de deux décennies et qui semble avoir trouvé au HCERES un terrain épidémique vierge de toute défense immunitaire. Audiard ne nous aurait pas contredit : contre la connerie, malheureusement, on n’a toujours pas inventé de vaccin !

Cette première alerte passée, la trêve estivale et une rentrée difficile dans les universités ont quelque peu détourné l’attention de la communauté des innovations coulhoniennes de la vague C. C’était sans compter sur les effets à retardement de la réforme et la mise en œuvre effective de ces nouvelles directives imposées « d’en haut ». Présidence verticale, évaluation jupitérienne¹, le bonhomme a de qui tenir ! A moi les grands et beaux discours sur la « théorie de l’évaluation », au restant des troupes les problèmes bassement matériels de mise en œuvre et d’exécution ! On reste stupéfait d’un tel décalage entre le sommet et la base.

Autopromotion de T. Coulhon devant les recteurices d’académie sur Twitter, 7 novembre 2022

Tel ce énième bavassage de salon, cette fois devant les recteurs d’académie réunis en grande pompe le 7 novembre dernier. Planté devant un aréopage ayant délaissé l’enseignement et la recherche depuis fort longtemps (monter la garde auprès du sourire de la Ministre est un boulot à temps plein), Thierry Coulhon a pu égrener toutes les innovations du HCERES dans un magnifique exercice nombriliste d’autosatisfaction (reconnaissons lui un vrai talent) : un public docile et obéissant comme on aimerait en avoir dans tous les amphis de première année ; il faut dire qu’avec 50 000 balles de prime Blanquer annuelle, on est prié de ne pas rigoler devant cette révolution copernicienne de l’évaluation. Au restant des troupes donc, responsables de départements, conseillers scientifiques et staff administratif du HCERES, présidents de comités, de mettre en œuvre les fameuses (fumeuses ?) orientations « stratégiques » dont Thierry Coulhon n’a toujours pas compris qu’elles doivent se décider collectivement et avec l’adhésion de la communauté.

Vague C: voies d’eau toxiques

Retour sur le terrain donc, en ce mois de novembre, pour appréhender les affres et les déboires de la vague C. Sans vouloir manquer de respect à nos très chers et vaillant∙es ami∙es ukrainiens (nos vrais Héros de cette année 2022 décidément bien tragique), un zeste d’humour noir nous pousserait volontiers à faire le parallèle entre le HCERES et l’armée russe… Logistique défaillante, manque d’encadrement, modèle et doctrine totalement dépassés, documents contradictoires, calendrier chaotique, la liste des déboires est sans fin. Dans telle université, le comité d’évaluation ne compte que deux tondus et trois pelés pour faire le boulot ; pour tel laboratoire, le président du comité d’évaluation a démissionné quelques semaines avant la visite ; pour d’autres unités, le HCERES n’a toujours rien organisé un mois avant la date retenue pour la visite ; dans telle discipline c’est le conseiller scientifique qui a claqué la porte… sans oublier les personnels administratifs de la rue Einstein : notre petit doigt nous a gentiment informé qu’on ne compte plus les arrêts maladies et les « burn-out » parmi les bataillons du HCERES. Officiellement pourtant, rien à signaler sur le front de l’évaluation, tout se déroule suivant les plans initiaux du Chef…

Les informations remontant de établissements semblent donc indiquer que les « sanctions » de la communauté à l’égard du HCERES, c’est-à-dire le boycott des comités de visite et de façon générale tout ce qui touche aux activités « participatives » du HCERES, commencent à porter leur fruit. En témoignent les difficultés croissantes à constituer des comités, même dans leur format minimum.

Si Academia en avait la possibilité, rendre public les échanges téléphoniques entre directions d’établissements ou de laboratoires de recherche et le HCERES serait particulièrement instructif, à l’instar de ces conversations entre soldats russes révélées par les médias ukrainiens et qui en disent long sur l’état réel des troupes :  on entendrait les conseillers scientifiques du HCERES pleurnicher du matin au soir, à la recherche désespérée de collègues pour venir grossir les rangs de comités de visite squelettiques, ou se plaindre des cadences infernales imposées pour organiser des comités de visite à la chaine, façon Charlie Chaplin dans les Temps Modernes.

Certains conseiller∙es du HCERES n’hésitent d’ailleurs plus à abattre du travail le week-end et à contacter les responsables des écoles doctorales, formations ou laboratoires le dimanche matin par mail. Surchauffe évidente doublée d’un délicieux mimétisme comportemental du Chef dans l’univers fantasmé du soldat macroniste. Il faut dire que dans un monde où Jupiter interroge par SMS ses ministres à deux heures du matin, la main d’œuvre de bas étage est supposée prendre le pli : notre ministre ne s’est-elle pas vantée récemment de ne dormir que 4 heures par nuit et d’avoir sacrifié sa vie de famille sur l’autel du Plateau de Saclay ? Pour certain∙es, le marqueur d’une réussite dans un monde ou le paraître et le superficiel l’emportent sur tout le reste. Mais pour beaucoup d’autres, qui ont une lecture moins enchanteresse de la réalité, les stigmates de la défaillance de tout un système bureaucratique et d’exercice personnifié du pouvoir, à tous les niveaux, qui mènent, réforme après réforme, la recherche française, tout comme l’école ou l’hôpital, à leur perte. Dans cette entreprise de démolition de notre service public d’enseignement et de recherche, le HCERES tient malheureusement toute sa place et les déboires actuels de la vague C, qui confinent parfois à des situations clownesques, ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel : le caractère hautement nocif des orientations bureaucratiques et dirigistes prises par Thierry Coulhon depuis 2020 et la nécessité de maintenir, voire de renforcer encore plus systématiquement les « sanctions » de la communauté à l’égard du HCERES, relégué dorénavant au rang d’organisme parasitaire de l’ESR.

Plus que jamais, boycottons le HCERES.

1. déclinée à souhait dans les « observations du président du HCERES » qui encadrent – recadrent – désormais tout rapport d’évaluation des établissements, voir un exemple ici [↩]